La révolte des personnes électrosensibles

Ils se calfeutrent, fuient la ville, ses antennes relais… Traités comme des doux dingues, les personnes électrosensibles dîtes allergiques aux champs électromagnétiques se rebiffent. Et réclament d’être moins exposés.

 

La révolte des électrosensiblesPremière tentative de refuge anti-ondes dans la Drôme: une caravane tapissée d’aluminium. 

AFP

Il y eut cette installation ratée, le mois dernier, au gîte des Chabottes, dans le vallon du Rioufroid (Hautes-Alpes). « Les ondes de la clôture électrique autour du parc à chevaux me grillaient le crâne, explique-t-elle. Même calfeutrée dans une couverture de survie pour faire cage de Faraday, j’avais des insomnies. » Puis ces tentatives sans lendemain aux abords du parc des Ecrins. Des équipées que, chaque fois, Anne Cautain, 55 ans, ex-agent de service en résidence universitaire, paie au prix fort: douleurs musculaires intenses, rougeurs au visage, palpitations dès qu’un randonneur ou un chasseur, portable en poche, pointe aux abords de son refuge. Une réaction classique, propre aux « EHS », ces électro-hypersensibles, victimes exacerbées du syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques. Anne en fait partie. Elle n’ira pas au rassemblement du 14 décembre devant l’Assemblée nationale, à l’appel des collectifs anti-ondes, qui réclament la réduction de puissance des antennes relais. Mais le coeur y est.

Depuis deux ans au fond d’une grotte

C’est que, bien avant son étape alpine, son « errance » l’a conduite à dormir, ici, dans des caves insalubres, là, dans une voiture sur le parking d’un HLM, et même dans une baraque de jardin installée au sixième étage d’un appartement niçois. Avec, partout, le même objectif: s’affranchir de ces ondes qui, affirme-t-elle, blessent son corps. Une galère qui l’a amenée jusqu’à cette grotte à Beaumugne, à une heure de Gap (Hautes-Alpes), qu’elle occupe depuis deux ans.

Impossible pour elle, désormais, de stationner à son entrée sans ressentir des picotements. Sans doute parce que la couverture réseau s’est intensifiée sans qu’elle sache trop pourquoi ni comment. Au bout de quelques minutes, joues cramoisies, elle se replie au fond du boyau en S, vers cette « chambre » improbable, bâchée pour éviter les ruissellements, qu’elle partage avec Bernadette, son aînée de dix ans et, depuis l’été de 2010, sa complice d’infortune. « On est comme des lépreux, sauf qu’eux étaient reconnus par la société, alors qu’il n’y a aucune volonté de créer des zones sans rayonnement pour nous accueillir, nous autres. »

Combien sont-ils, ces « autres » ? Personne ne sait trop. En France, l’association Robin des toits les évalue à 3 % de la population. « Beaucoup moins qu’en Allemagne et en Suède, où on flirte avec les 10 %, constate son porte-parole, Etienne Cendrier. Mais leur nombre progresse et le pire serait à venir. Une étude suédoise pronostique que, à l’horizon 2017, 40 % de la population occidentale sera touchée. »

Président de l’Association pour la recherche thérapeutique anticancéreuse (Artac), le cancérologue Dominique Belpomme voit, lui, grossir de jour en jour la liste de ses consultations. En se fondant sur une série de plus de 400 patients, son équipe a mis au point un test de diagnostic identifiant une pathologie neurodégénérative dont ces chercheurs pensent qu’elle est « probablement liée à l’ouverture de la barrière hémato-encéphalique par les ondes et/ou les produits chimiques ».

Mais de quelle affection souffrent-ils, au juste? Les recherches pour identifier d’éventuelles différences psychiques entre les électrosensibles et les autres n’ont rien donné. Ils ne seraient pas plus sujets à psychose que le commun des mortels, contrairement à ce que pensent certains médecins. Pour autant, officiellement, aucun lien de causalité n’a encore été établi entre les symptômes repérés et les ondes pulsées. De multiples études existent, mais leurs conclusions sont contradictoires. « Lorsqu’elles bénéficient du soutien de l’industrie, elles soulignent, 3 fois sur 4, l’absence d’effets biologiques des ondes, observe la députée européenne (EELV) Michèle Rivasi. Alors qu’au moins 60% des travaux non financés par le privé les mettent en évidence. »

Des champs « possiblement cancérogènes », selon l’OMS

En Grande-Bretagne, cette souffrance est reconnue comme une maladie. En Suède, elle est classée parmi les « déficiences fonctionnelles ». En Espagne, un tribunal madrilène a récemment octroyé une incapacité permanente à un professeur souffrant de fatigue chronique en raison des fameuses ondes. Mais, en France, ces troubles sont taxés de vague handicap. Ce qui fait bondir Françoise, haut fonctionnaire, plus habituée au devoir de réserve qu’aux diatribes militantes. Elle-même assaillie depuis janvier 2009 par divers symptômes, elle cite des études européennes – Reflexe ou BioInitiative – insistant sur les risques pour la santé des champs électromagnétiques. Des champs que l’OMS a récemment classés comme « possiblement cancérogènes ». Le Conseil de l’Europe suggère, lui, de créer des « zones blanches non couvertes par les réseaux sans fil ». Un voeu pieux, vu l’enjeu commercial que représentent les 64 millions de portables et de smartphones en France.

Alors, chacun se débrouille. L’un débranche son Wi-Fi la nuit, l’autre dort sur un matelas dans le salon pour ne pas subir les effets de la box du voisin, de l’autre côté de la cloison. « Quand je dis à mon mari qu’une lame de couteau, froide, me traverse la tête, il me croit, explique Anne, parisienne de la porte Maillot, en pointant les antennes dans sa ligne de mire. Mais, entre croire et comprendre, il y a de la marge. » Dans la grande tribu des électrosensibles, l’écolo-baba cool voisine avec l’énarque, la romancière côtoie le consultant en informatique, le prof d’histoire-géo, l’employé municipal… Tous décrivent un quotidien saboté par les pertes de mémoire, les acouphènes, les vertiges.

Un bourdonnement qui fait suffoquer

Expert-comptable, Bruno ne prend plus le métro qu’aux heures creuses: trop de portables dans les poches, même désactivés, aux heures de pointe. Un bourdonnement qui le fait suffoquer. Christine, elle, peste en silence contre ses collègues de bureau qui gardent leur portable allumé, alors qu’ils ont un fixe à disposition.

C’est forcé et contraint que l’électrosensible vit en retrait, renonce aux réunions de parents d’élèves, aux sorties spectacles. Ingénieure en photovoltaïque, Emilie, 29 ans, a repéré les bistrots près de chez elle qui ont la bonne idée de ne pas utiliser d’ampoules fluocompactes. Pour Noël, elle se propose d’offrir un téléphone filaire, moins polluant, à sa voisine. En attendant, elle se défoule sur son blog. Son grand jeu? Deviner la marque et la puissance du portable de son voisin de bus.

Installée à l’arrière d’un camion capitonné d’un revêtement en aluminium – les pylônes peuvent aller se faire voir! – Anne s’apprête à remettre ça. Elle et Bernadette vont tester une énième maison forestière où, à l’abri des fréquences perce-murailles, elles pourront peut-être passer l’hiver. « Avec des murs épais, c’est peut-être jouable, se rassure- t-elle, à l’approche du bourg de Savournon, dans les Hautes-Alpes. Ce n’est pas par plaisir qu’on vit dans une grotte à moins de 10 degrés. Nos vies d’ermites, ça arrange tout le monde. Mais nous, on n’aspire qu’à la normalité! »

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